Le bilinguisme est un phénomène intéressant : il peut être acquis de différentes manières, selon divers contextes, peut concerner des langues totalement différentes l’une de l’autre… Ce sujet est un thème qui me passionne, sur lequel j’ai déjà acquis beaucoup de connaissances et que je pratique au quotidien.
En effet, au vu de mes études et de mon niveau actuel dans les langues de Molière et Shakespeare, on peut considérer que je suis bilingue dans ces deux langues. Ce qui m’intéresse toutefois aujourd’hui est de vous parler de ma pratique quotidienne de celles- ci au niveau de l’éducation bilingue de mes enfants. Avant toute chose, remettons les points sur les I : qu’est-ce que le bilinguisme ?
Le bilinguisme : qu’est-ce que c’est ?
Définitions
Le bilinguisme est un bien joli terme mais il faut savoir que la définition exacte de celui-ci n’a jamais été mise à plat. En réalité, les linguistes ne se sont jamais mis d’accord sur ce que recoupait le fait d’être bilingue. Bien sûr, tout le monde s’entend à dire que le bilinguisme est la capacité de parler deux langues (par opposition à l’unilinguisme, le fait de ne parler qu’une seule langue) mais là où les désaccords existent se situe au sujet du niveau acquis dans chacune de ces deux langues.
Concrètement, deux définitions existent. La définition maximale veut qu’un individu bilingue puisse comprendre et s’exprimer de manière (quasi-)identique dans chacune des deux langues. De son côté, la définition minimale voudrait qu’un individu, à partir du moment où il parle deux langues, même si une différence significative de niveau existe entre celles-ci, est considéré comme bilingue. Cette définition va même plus loin : un individu pourrait avoir des capacités d’expression très limitées dans une deuxième langue mais pourrait malgré tout être considéré comme bilingue si la compréhension de ladite langue est équivalente à sa langue dite « maternelle ».
Le linguiste M. Paradis a même défini différents degrés de bilinguisme dans l’ouvrage Problèmes de psycholinguistique. Ainsi, la définition maximale citée ci-dessus serait le plus haut niveau, le « bilingue idéal », alors que la définition minimale dans le cas où l’une des deux langues serait comprise mais non parlée revêt d’un bilinguisme passif. Entre les deux, trois autres niveaux existent : on parle ainsi de semi-linguisme lorsqu’aucune des deux langues n’est maitrisée comme un natif, d’équilinguisme pour un locuteur qui parlerait deux langue à un niveau équivalent mais pas au niveau d’un natif, ou encore de diglossie quand chacune des deux langues est utilisée dans un contexte différent.
L’enfant bilingue
Si le niveau des deux langues est un grand sujet, il faut aussi regarder à la manière dont les langues sont acquises. Plusieurs études ont prouvé qu’au plus tôt un enfant est exposé à une « deuxième » langue, au plus haut pourra être le niveau atteint dans la maitrise de celle-ci par l’enfant. Quand un enfant acquiert une deuxième langue avant ses six ans, on parle de bilinguisme précoce et ces mêmes études prouvent que le « bilingue idéal » a bien souvent appris les deux langues dès la petite enfance. Pourquoi ?
Avant 6 ans, le cerveau de l’enfant n’a pas encore atteint sa forme finale et se forme au jour le jour, en fonction des interactions et des activités. On parle de la plasticité du cerveau. C’est à cette période cruciale que certains comportements, certains mécanismes du cerveau, certains traits de personnalité vont se former pour en quelque sorte « mouler » le cerveau. Les langues font partie de ces précepts et il a été prouvé que deux aspects d’une langue en particulier sont les plus difficiles à acquérir après les 6 ans : une structure instinctive de la langue et l’accent.
Il n’est pas impossible d’atteindre un niveau natif dans une deuxième langue au point de maitriser l’accent et la structure instinctive de la langue, mais il s’agit de quelque chose qui relève plus de l’exception. La raison est qu’après cet âge crucial, l’individu qui apprend une nouvelle langue fera constamment la comparaison avec sa langue maternelle. Un enfant qui apprend les deux langues en même temps apprend deux manières de fonctionner en parallèle et acquiert donc une manière instinctive de parler la langue, tant au niveau de sa structure (autrement dit, l’ordre des mots, la grammaire) que dans l’aspect phonétique (c’est-à-dire la prononciation).
Bien sûr – ceci est bien connu – un bébé ne parle pas dès la naissance ! L’apprentissage des langues se fait ainsi en parallèle, d’abord dans la compréhension, ensuite dans l’expression. Mais alors, doit-on lui parler les deux langues avant qu’il ait appris à parler ?
L’apprentissage de la parole : faut-il parler anglais et français à la fois à son enfant ?
Ceci est une question qui mérite d’être répondue, surtout pour ceux qui souhaiteraient éduquer leurs enfants dans le bilinguisme. Je ne vais pas me pencher sur les avantages du bilinguisme dans le développement de l’enfant – ce n’est pas le sujet du jour mais cela pourrait être le sujet d’un article entier – mais les études ont prouvé qu’un enfant qui baigne dans le bilinguisme dès son plus jeune âge acquierra ces deux langues. Toutefois, avant de s pencher sur la manière dont procéder, il est utile de préciser deux points très importants afin de relativiser.
Tout d’abord, chaque situation familiale est différente. Cela va de soi mais il est utile de le préciser : chaque famille est différente lorsqu’on parle de bilinguisme. Parfois, typiquement dans le cadre d’immigration, la langue parlée à la maison est différente de celle parlée à l’école. Dans d’autres cas, seul l’un des parents parle une langue différente. En bref, autant de cas existent que de familles. Si chaque situation d’éducation bilingue est différente, je vais me pencher davantage sur la situation que je connais le mieux (car c’est celle que je vis au quotidien), à savoir le cas où chacun des deux parents parle une langue différente à l’enfant.
Ensuite, il est utile de préciser que le bilinguisme n’est pas une science absolue. Chaque enfant évolue à son rythme. Ce n’est pas parce que votre enfant est bilingue qu’il va automatiquement être au-dessus de la moyenne. L’inverse est vrai aussi : ce n’est pas parque que vous l’éduquez dans deux langues qu’il va être plus confus. Les études ont prouvé que le bilinguisme n’affectait pas négativement le développement ou l’intelligence de l’enfant.
Si vous décidez de parler chacun une langue différente à votre enfant, faut-il le faire dès la naissance ? L’idéal voudrait que oui, et ce même s’il en parle pas encore. Tout comme vous parlez à votre enfant dès sa naissance dans votre langue maternelle (du moins, dans l’idéal, vous stimulez votre enfant en lui parlant), le couple bilingue va ainsi s’exprimer dans les deux langues avec l’enfant dès le départ. Le principe est donc de s’y tenir : chaque parent parle une langue et ne change pas, même en cas de multilinguisme. Cela permet à l’enfant d’avoir un référent par langue et d’assimiler plus facilement les composantes de la langue.
Mon observation : mes enfants bilingues de la naissance aux 2 ans
Ma situation
Je vais maintenant vous parler d’un cas que je connais particulièrement bien, celui de mes deux petites bouilles. Pour que vous compreniez la situation, voici dans quel cadre bilingue mes enfants sont éduqués :
- J’ai personnellement grandi dans une famille 100 % francophone, ai grandi en Belgique francophone et ai ainsi suivi mon éducation en français : le français est donc ma langue maternelle. Toutefois, ayant une forte affinité pour les langues étrangères, j’ai suivi des études de traduction (anglais et allemand) ainsi que d’autres cours de langues en-dehors de ces études (néerlandais, roumain et slovène). Etant véritablement tombé amoureux de la langue anglaise, dans laquelle je me suis tout de suite reconnu, je baigne dedans au quotidien depuis près de 20 ans. Cet environnement que je me suis créé et mon niveau très élevé (C1, voire C2 selon les tests) font qu’on peut me considérer comme bilingue français-anglais.
- Mon épouse comprend et pratique aussi des langues étrangères mais, tout comme moi, est de base francophone, ayant grandi dans un schéma similaire au mien.
- Mon épouse parle exclusivement français avec les enfants tandis que nous avons décidé ensemble que je parlerais exclusivement anglais avec eux. Nous parlons français entre nous et vivons en Belgique francophone.
- Nous avons deux enfants : une fille née en 2020, qu’on appellera Anya pour cet article, et un petit garçon né en 2022, qui vient tout juste d’avoir 2 ans et qu’on appellera William pour cet article. Anya a été à la crèche en français, dans un environnement multilingue où la puéricultrice parlait aussi portugais avec certains enfants (mais pas avec Anya) et William est actuellement dans la même crèche où sa soeur a été. Anya est actuellement dans une école maternelle où l’enseignement se fait en français.
Nous sommes donc dans une situation où les deux enfants sont en contact avec le français et l’anglais depuis leur naissance (dès la salle de maternité) dans l’environnement familial, même si l’anglais est largement moins présent dans son ensemble. Je suis la seule personne à leur parler anglais dans leur vie pour le moment : même si l’équilibre français-anglais est donc respecté à la maison, le français prédomine dans le reste de la famille et dans leur éducation scolaire.
Mes observations
Pour reprendre ce que je disais plus haut dans les points d’attention à mentionner, il est bon de préciser que chaque enfant est différent et évolue à son propre rythme, et mes propres enfants ne dérogent pas à la règle. William est loin d’être la copie parfaite d’Anya : ils sont chacun uniques et n’évoluent donc pas exactement au même rythme.
Ainsi, William commence à dire quelques mots pour s’exprimer depuis cet été, soit 3-4 mois avant ses 2 ans. Son cas est difficilement comparable à celui de sa soeur, qui disait ses premiers mots à son premier anniversaire. A l’âge de 2 ans, Anya avait donc un vocabulaire et un discours bien plus avancé que William à son âge.J’ai toutefois pu relever certaines similitudes dans le développement de leur langage dans le cadre de leur éducation bilingue.
A partir du moment où il sont commencé à dire des mots, tant Anya que William ont commencé à dire à la fois des mots en français et des mots en anglais. Les enfants bilingues, lorsqu’ils apprennent à parler, ont l’avantage d’avoir deux langues à disposition et il est vrai que ceux-ci ont tendance à choisir le mot le plus facile à prononcer entre l’anglais et le français, tout du moins le mot qu’ils ont le plus facile à prononcer sur le moment. Ainsi, pendant tout un temps, Anya m’appelait « Daddy » alors que son frère m’a appelé « Papa » dès le début. Parmi les mots anglais qui faisent partie de leurs premiers mots de vocabulaire, Anya utilisait régulièrement bath (le bain) et shoes (les chaussures) tandis que William, grand fan de balles, répète ball plusieurs fois par jour plutôt que son équivalent français.
Même si cela doit encore être observé sur William (pour rappel, il a commencé à parler plus tard), le français devient la langue « dominante » assez rapidement. A ses 2 ans, Anya disait quelques mots en anglais mais s’exprimait principalement en français. Ceci est dû à notre environnement, allant non seulement à la crèche en français mais parlant avec le reste de la famille en français. De plus, mes enfants voient que je comprends quand ils me parlent en français, ce qui va aussi dans ce sens.
Mais quid de l’anglais avant qu’ils ne parlent ? C’est simple, vu que je leur parlais anglais depuis leur naissance, Anya et William m’ont toujours compris. Déjà bien avant leur premier anniversaire, ils avaient une compréhension visible de ce que je leur disais et, non, le fait que je leur parlais anglais ne posait pas de problème. A l’âge de 2 ans, il n’y a pas un moment où William ne comprend pas ce que je dis quand je lui parle et c’était la même chose pour Anya au même âge.
Cela résume dans les grandes lignes mon cas personnel dans le cadre de l’éducation bilingue d’un enfant. Cela reste mon cas et celui-ci ne s’applique pas à toutes les situations tout comme une situation similaire à la mienne pourrait ne pas se dérouler de la même manière. Je trouvais toutefois important de vous partager cela pour que vous puissiez en apprendra davantage sur l’éducation bilingue de manière concrète, et quoi de mieux que de parler du cas que je connais le mieux ?
Si vous avez d’autres question ou que vous voudriez améliorer votre anglais pour, qui sait, peut-être parler vous-même anglais à votre enfant, n’hésitez pas à me contacter et je me ferai un plaisir d’en discuter avec vous !